Cinéaste et photographe, Camille Holtz a été révélée ces dernières années par des créations où le souci documentaire demeure en permanence enchâssé dans une grande exigence artistique. En immersion parmi les personnages de ses enquêtes de terrain, elle crée des dispositifs fluides où l’être humain est pris en charge avec tendresse et probité. L’image, constamment, rappelle que la vie est un assemblage de petites choses et que la recherche universelle du bonheur est un sentiment décisif. Les « filles et garçons du coin » -selon une formule de sociologues*-, cette jeunesse qui a choisi de rester dans nos campagnes, la voici qui se présente à nous, dans sa beauté et sa fragilité, comme dans son énergie. L’arc des rêves libère un halo autour de chacun.
[* Nicolas Renahy, Les gars du coin. Enquête sur une jeunesse rurale, La Découverte, avril 2010. Yaëlle Amsellem-Mainguy, Les filles du coin. Vivre et grandir en milieu rural, Les Presses de Sciences Po, mars 2021.]
De fait, le travail plastique de Camille Holtz, matérialisé par des films et des photographies, est un art particulier lié à une poétique de la vision pour laquelle l’enchantement du monde est affaire de lieux, d’instants et de rencontres. Chaque image est toujours rattachée à ces situations où quelque chose de l’ordre de la beauté émerge devant nous comme un signe d’autant plus inattendu qu’il surgit de notre monde familier. L’artiste photographe accompagne ces révélations, aussi fragiles soient-elles, comme de rares présences à préserver. Le regard de la photographe, avec tendresse et disponibilité, ne dissipe pas l’inconnu et ne craint pas de participer pleinement à la pureté de l’instant. Ce style que l’on pourrait dire de la présence vécue est ainsi une vraie donation de l’artiste envers ses modèles comme envers les regardeurs de ses photographies.
Le sujet est toujours ce qui advient dans une sorte de halo, où le jeu des lumières et des ombres légères semble restituer une image venue du rêve. De telles interférences nous conduisent parfois à regarder certaines de ces photographies dans le contexte de l’histoire de l’art, ainsi qu’il en va avec le beau portrait en couleurs de Louanna. Cette jeune fille méancolique évoque à bien des égards une princesse italienne, Toscane précisément, de la fin du XVe siècle : d’abord par le port de tête et la coiffure (deux longues mèches, finement lissées, glissant souplement devant l’oreille gauche et derrrière l’oreille droite); ensuite par le raffinement de son collier tressé d’arabesques, serré autour du cou, qui fait penser au portrait de Smeralda Brandini par le peintre Botticelli (Londres, Victoria & Albert Museum), mais se trouve ici doté d’un pendentif semblable à un petit coeur en argent. Louanna tient dans ses mains un téléphone vieux rose -qui pourrait tout aussi bien être un miroir de poche ou un petit livre- dont la chaînette dorée est ornée de pompons du même rose tendre que celui des ongles (rongés), peints.
Les portraits en noir et blanc, en tirages argentiques, proposent ainsi des rencontres émouvantes : celle de Britany et de sa soeur, Anaëlle, adossée au mur ou retirée dans l’espace d’un jardin. Ce sont les beaux jours, les tenues sont décontractées, ce qui n’empêche pas les foulards-bandeaux de poignet, les colliers ou les bagues, les chaussures à damier ou les motifs à papillon. La fragilité déconcertante de ces jeunes filles, mâtinée d’une certaine assurance, témoigne, par-delà la complicité établie avec la photographe, du désir d’exister et d’obtenir une place à soi dans le monde. C’est sans doute dans cette manière très subtile d’accueillir la promesse muette de chaque être photographié que Camille Holtz affirme son talent.
La beauté des jeunes filles, le bonheur de la sieste dans la mi-ombre, le sourire malicieux de Quentin, le regard perdu vers l’étang -dans une sorte d’abscence qui signe un consentement à l’instant-, le plongeon du garçon-poisson dans l’étang du Lagon bleu, cette ancienne carrière engloutie de Louroux-Hodement (qui doit sans doute son nom au célèbre film évoquant le paradis retrouvé par un couple de jeunes rescapés d’un naufrage en Océanie * : tout évoque la fluidité d’un temps séparé, comme délivré de toute pesanteur. La fraîche simplicité de la vie se concentre finalement dans le jeune couple à moto, à jamais insaisissable, comme absorbé par lui-même dans une partie du monde qui nous échappe, sans doute parce qu’elle procède déjà directement du temps.
*[Les rescapés sont deux enfants devenus adolescents puis parents, la famille au comble du bonheur se baignant nu dans le fameux « lagon bleu » bordé par une nature luxuriante. Le roman de l’écrivain irlandais Henry de Vere Stacpoole, The Blue Lagoon (1908), a été porté à l’écran en 1923, 1949 et, surtout, en 1980, dans le film de Randal Keiser avec Brooke Shields et Christopher Atkins. Le film, qui connut un grand succès, avait été tourné à Champagne Bay, au Vanuatu, dans l’archipel mélanésien.]
L’accueil de Camille Holtz a mobilisé trois associations du Pays de Tronçais : Polymorphe.corp, à la Ferme du Rutin, à Cérilly (où l’artiste était en résidence au printemps et à l’automne 2022), Aline et les argenteurs, animée par Patrick Richard et Nathalie Pasquier, à Ainay-le-Château (pour l’accompagnement de l’artiste lors des tirages argentiques), et Le DomaineM à Cérilly, pour l’exposition. Toutes les images présentées ci-dessus sont extraites du portfolio édité par l’artiste (28 pages imprimées sur format et papier journal).