Artiste professionnel, peintre opiniâtre et secret, Michel Vautier développe une œuvre picturale troublante sur, notamment, les lieux de notre quotidien et les espaces où nous habitons. Les choses y apparaissent dans leur éclat déceptif comme autant de signes incompréhensibles ou de traces équivoques. La dimension abstraite de la perception se trouve en permanence contredite par la présence d’une touche picturale qui affirme la beauté perdue des dispositifs. Comme chez un Philippe Cognée ou un Luc Tuymans, des « fictions » semblent en permanence sollicitées pour stabiliser notre regard ou apaiser nos interrogations, sans pour autant parvenir à dénouer l’incertitude même de notre expérience du réel.
L’exposition présentée au DomaineM rassemblait 88 œuvres, de petits formats, présentées pour l’essentiel en quatre séries : Les Lits (2017, la série complète de 24 pièces est présentée), Les Veilleuses (2017), Les Chaises (2018) et Les Portes (2019-2020, les 15 pièces de la série sont présentées).
Ce que dit ici le motif (« porte », « lit », « lampe de chevet »…) demeure à chaque fois une question irrésolue pour l’artiste, ce dont témoigne brutalement la série. Celle-ci procède donc moins d’une « tentative d’épuisement » d’un sujet (ou de la description d’un sujet), que de la recherche d’un sens ultime dont il serait secrètement porteur. La répétition du « même » se voit dès lors constamment contredite par des différences matérielles, comme les lits fabriqués par le menuisier sont – selon Platon – autant de représentations incertaines de l’Idée de « lit ». Le Platonisme de Michel Vautier est à cet égard un renversement de valeurs car les œuvres de l’artiste révèlent, une à une, la profusion même des formes matérielles et donc l’infinité disponibilité des choses. Ces choses, ces objets, sont comme accomplis par l’art dans la mesure où la peinture sauve toutes les apparences possibles. En sorte que la richesse des effets picturaux que met en jeu l’artiste, désigne bien la création artistique comme la perception du monde à la fois la plus sensible et la plus intellectuelle. Puisque l’artiste pense, met en œuvre une pensée plastique, celle-ci loin de se figer dans des concepts ou des formules, ne cesse, encore et encore, de relancer sa lecture infinie du monde comme un acte souverain. On considèrera en conséquence que le travail de Michel Vautier est une méthode de méditation inassouvie sur les lieux, les choses et les êtres. Loin d’être inquiète, cette œuvre laisse rayonner l’existence à travers ses plus simples apparitions. Preuve s’il en est que ce monde, en l’état, est désirable et, par-delà même son énigme et ses désordres, qu’il répond à nos souhaits.