Car, à vrai dire, Thibaud Thiercelin ne peint jamais un tableau. Il peint. Sur une surface déployée qui est aussi un vide. C’est-à-dire qu’il peint à travers une épaisseur où il est possible de se mouvoir, de faire des rencontres, de croiser des êtres, des animaux, des objets eux-mêmes mobiles, montgolfières, aéroplanes, patins à roulettes, de traverser des villes fortifiées, des fêtes foraines, des campagnes démesurées où traînent des grues à l’abandon, des carrelets sur pilotis, des machines désossées, de marcher au bord de falaises ou sur des bancs publics. Dès lors, la forme tabulaire de l’œuvre de Thiercelin est à saisir comme une viscosité erratique, un ensemble de strates comportant chacune ses réseaux de formes flottantes. Ce monde perdu où tout ″existe″ c’est à la fois la mémoire et le rêve. Mais peut-être faudrait-il ici évoquer la pensée de Macrobe, philosophe latin de l’Antiquité tardive (Ve siècle), à propos de la distinction entre la vision (visio) et le songe (somnium) : l’acte d’image traverse ces deux mondes dont il procède.