Pierre-Yves Canard
Les illuminations
septembre 2023

Dessinateur fécond et coloriste inventif, Pierre-Yves Canard développe de longue date une pratique picturale qui pourrait s’apparenter à celle de Pierre Alechinsky par ses fulgurances graphiques et ses thèmes narratifs, entre contes et visions. Les récits sous-jacents, volontiers racontés par l’artiste, semblent relever des ensembles figuratifs circulant dans les rêves avec leur densité, leur plasticité et leur capacité à se métamorphoser de manière fantasque. Cet artiste-poète, doué, nous raconte ainsi une multitude d’histoires merveilleuses, illustrées, qui se déversent à travers nos imaginaires ainsi que des illuminations : « J’ai seul la clef de cette parade sauvage » disait Arthur Rimbaud (Les Illuminations, 1886).

Pierre-Yves Canard, Bonjour Monsieur Courbé (Vincent mit l’âne dans un pré), 202., acrylique sur papier kraft, 140 x 180 cm.

Il s’agit toujours de peinture, et tout ici est traversé par le même rythme fluide des tracés libérant, comme autant d’imprévus, des formes synthétiques et des figures en mouvement. Ce style de l’imprévu et du raccourci se manifeste spontanément à travers des calambours plastiques et des rébus narratifs, une des signatures fortes de l’artiste, Le support de papier, obsessionnel, souligne alors la précarité de la scène et, assurément, la fragilité de son apparition. Assez souvent, cette peinture nous donne l’impression que quelqu’un veut à toute force nous dire quelque chose, mais voici : son message -bien malgré lui- est brouillé ou dévié par le surgissement d’images inattendues. Et, finalement, il semble bien que les choses soient dites malgré tout, mais à la manière de récits informulables ou d’images énigmatiques. La peinture finale s’apparentant à la réponse évasive à une question perdue.

Le style pictural de l’artiste, à la fois délié et ouvert, installe pour le regardeur un séduisant trouble permanent dans la mesure où le motif semble davantage surgir ou s’annoncer que s’inscrire délibérément sur le support. La grande peinture, avec son titre en cascade Ex-voto (L’Egyptien sans peine. Coupez !) paraissant récuser toute lecture hâtive, nous indique qu’il s’agit bien ici d’une écriture, volontiers « hiéroglyphique » – teintée par conséquent d’énigme -, mais qu’il nous est loisible d’apprendre « sans peine », en nous accoutumant bien sûr à des effets de coupure (« coupez ! »), c’est à dire de montage.

Tandis que des humains perdent régulièrement la tête ou des parties de leur corps, les animaux sont toujours présentés comme des êtres accomplis, hautement mystérieux, dotés de carapaces protectrices (La tortue et le crocodile. L’Egyptien sans peine. Pompon) ou de capacités à se dissimuler dans le décor comme le paresseux (Paresseux. Le dernier dodo). Le camouflage du sujet paraissant alors se confondre avec l’image elle-même, qui se dérobe silencieusement. La fabrique des images de Pierre-Yves Canard, par son recours régulier à l’effacement comme au non-fini, libère le pouvoir poétique et déconcertant de la litote. Pour l’artiste – comme pour l’enfant qu’il adorait être – le réajustement du réel est affaire de bricolage de formes et de mots, et la vie ne peut qu’être en permanence exaltée par les expériences visuelles, les images inattendues et les messages intraduisibles.